Les effets des décisions rendues par le juge européen sur celles rendues par le juge français

Actualités juridiques

Le 07/08/2009

Interrogée par un député sur l'effet des jurisprudences rendues par les juridictions européennes sur celles rendues par le Conseil d'Etat français, la ministre de la justice a rappelé les règles suivantes [...]

Interrogée par un député sur l'effet des jurisprudences rendues par les juridictions européennes sur celles rendues par le Conseil d'Etat français, la ministre de la justice a rappelé les règles suivantes :

« La jurisprudence du Conseil d'État, juridiction suprême de l'ordre administratif, revêt une importance de premier plan dans la mise en œuvre en France du droit communautaire. Cette jurisprudence assure la primauté et l'effectivité du droit communautaire, tout en œuvrant à la construction d'une harmonie jurisprudentielle avec la Cour de justice des Communautés européennes.

Le dialogue entre le Conseil d'État et la Cour de justice des Communautés est organisé par l'article 234 du traité CE qui prévoit que les juridictions suprêmes des États-membres de l'Union européenne doivent poser une question préjudicielle à la Cour sur toute difficulté d'interprétation du droit communautaire. Le bon usage du renvoi préjudiciel résulte de l'application par le Conseil d'État de la « théorie de l'acte clair » qui limite le renvoi aux cas de difficulté sérieuse. Cette jurisprudence a été reprise par la Cour européenne dans un arrêt du 6 octobre 1982 Cilfit (aff. 283/81), qui précise qu'il n'y a pas lieu à renvoi, même pour une juridiction suprême, lorsque « l'application correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ».

En pratique, de 2000 à 2008, le Conseil d'État a posé 22 questions préjudicielles, chiffre comparable à celui des cours suprêmes des autres pays européens. Dans le cadre du règlement des litiges ayant donné lieu à questions préjudicielles, le juge administratif assure le respect de l'ensemble des points tranchés par les arrêts de la Cour de justice des communautés. En effet, le Conseil d'État a récemment infléchi sa jurisprudence par une décision De Groot En Slot Allium BV dite « des échalotes » du 11 décembre 2006 (n° 234560), dans laquelle il a reconnu pleinement l'autorité de l'interprétation du traité et des actes communautaires donnée par la Cour dans l'exercice de sa fonction préjudicielle, alors même que sa réponse excéderait le champ exact de la question qui lui est posée.

Le Conseil d'État veille également à appliquer les arrêts préjudiciels de la Cour de justice des Communautés rendus sur renvois d'autres juridictions européennes, compte tenu de l'acquis communautaire qu'ils constituent. En témoigne par exemple sa décision Conseil national des barreaux et autres du 10 avril 2008 (n° 296845 et autres).

Par ailleurs, le Conseil d'État a récemment ouvert la voie à une meilleure articulation entre le droit constitutionnel et le droit communautaire. Sa décision Arcelor du 8 février 2007 (n° 287110) associe le juge national au contrôle du droit communautaire dérivé (directives et règlements) en définissant les modalités selon lesquelles le juge national et le juge communautaire peuvent, dans leurs sphères de compétences respectives, contrôler la conformité aux droits fondamentaux protégés par la Constitution et par le droit communautaire de ce droit dérivé.

La jurisprudence communautaire a également contribué à l'émergence de nouveaux principes en droit interne, tels que le principe de sécurité juridique inspiré du droit allemand et consacré en droit communautaire. Il a été reconnu en droit français en tant que principe général du droit par la décision du Conseil d'État KPMG en date du 24 mars 2006 (n° 288460). Autre exemple : la modulation dans le temps des effets d'un revirement de jurisprudence, appliquée dans la décision du Conseil d'État Tropic Travaux Signalisation du 16 juillet 2007 (n° 291545), est également inspirée de la jurisprudence européenne Defrenne de 1976 (aff. 43/75). S'agissant du régime de responsabilité de la puissance publique en cas de préjudice causé par une méconnaissance des obligations communautaires, la Cour de justice des Communautés européennes a consacré le principe de la responsabilité des États membres en cas de méconnaissance des règles communautaires par une autorité nationale (arrêts Francovitch du 9 novembre 1991, aff. C-6/90 et Brasserie du pêcheur du 5 mars 1996, aff. C-46/93). Ce régime a été intégralement repris par le Conseil d'État dans ses décisions Sociétés Rothmans International France et Philip Morris France du 28 février 1992 (n°s 56776-56777). En outre, dans sa décision Gardedieu du 8 février 2007 (n° 279522), le Conseil d'État a dégagé un nouveau régime de responsabilité de l'État du fait des lois dans l'hypothèse de l'adoption d'une loi contraire aux engagements internationaux ou européens de la France. Enfin, par une décision Gestas du 18 juin 2008 (n° 295831), le Conseil d'État a jugé que la responsabilité de l'État peut également être engagée dans le cas où le contenu d'une décision de la juridiction administrative est entaché d'une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits à des particuliers. Il a ainsi fait sienne la jurisprudence Köbler de la Cour de justice des Communautés européennes (30 septembre 2003, aff. C-224/01) ».




Source :

Rép. min., n° 49191, JOAN, Q. 4 août 2009, p. 7709.
Mots clés : Professionnels, Particuliers, Accès à la justice