Le temps de parole du Président de la République doit être pris en compte par le CSA

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Le 15/04/2009

Dans un arrêt rendu le 8 avril 2009, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a considéré que les interventions du Président de la République et de ses collaborateurs dans les médias audiovisuels doivent être prises en considération par le Co

Dans un arrêt rendu le 8 avril 2009, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a considéré que les interventions du Président de la République et de ses collaborateurs dans les médias audiovisuels doivent être prises en considération par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Le Conseil d'Etat a, plus précisément, estimé que « en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l'Etat dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics et des missions qui lui sont conférées notamment par l'article 5 de la Constitution, le Président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique ; que, par suite, son temps de parole dans les médias audiovisuels n'a pas à être pris en compte à ce titre ; il n'en résulte pas pour autant, compte tenu du rôle qu'il assume depuis l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 dans la définition des orientations politiques de la Nation, que ses interventions et celles de ses collaborateurs puissent être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national et, par conséquent, à l'appréciation de l'équilibre à rechercher entre les courants d'opinion politiques ; dès lors, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne pouvait, sans méconnaître les normes de valeur constitutionnelle qui s'imposent à lui et la mission que lui a confiée le législateur, exclure toute forme de prise en compte de ces interventions dans l'appréciation du respect du pluralisme politique par les médias audiovisuels ; que la décision attaquée est ainsi entachée d'erreur de droit ; qu'en conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête, M. H. et M. M. sont fondés à en demander pour ce motif l'annulation ».




Communiqué du Conseil d'Etat


« Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a défini le 8 février 2000, sous le titre de « principe de référence », les critères au regard desquels il apprécie le respect des obligations qui incombent, en dehors des périodes électorales, aux services de radio et de télévision en matière de pluralisme politique. Les services de radio et de télévision doivent respecter un équilibre entre le temps d'intervention des membres du Gouvernement, celui des personnalités appartenant à la majorité parlementaire et celui des personnalités de l'opposition parlementaire et leur assurer des conditions de programmation comparables, le temps d'intervention des personnalités de l'opposition parlementaire ne pouvant être inférieur à la moitié du temps d'intervention cumulé des deux autres groupes et un temps d'intervention équitable devant être réservé aux personnalités appartenant à des formations politiques non représentées au Parlement.

Les interventions du Président de la République et de ses collaborateurs, si elles sont comptabilisées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ne sont pas pour autant prises en compte au titre des obligations du « principe de référence ». Les requérants ont contesté ce point et demandé à l'autorité de régulation de modifier les règles afin que ces interventions soient à l'avenir incluses dans les éléments d'appréciation que l'autorité retient. Mais le Conseil supérieur de l'audiovisuel a, par une décision du 3 octobre 2007, refusé et exclu par principe toute forme de prise en compte des interventions du Président de la République et de ses collaborateurs.

L'Assemblée du contentieux du Conseil d'État, formation de jugement la plus élevée du Conseil d'État, a annulé cette décision pour erreur de droit, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne pouvant, sans méconnaître les normes de valeur constitutionnelle qui s'imposent à lui et la mission que lui a confiée le législateur, exclure toute forme de prise en compte des interventions du Président de la République et de ses collaborateurs dans l'appréciation du respect du pluralisme politique par les médias audiovisuels.

C'est la première fois que le Conseil d'État devait se prononcer sur une telle question. Le 13 mai 2005, il avait pris position, à propos des seules règles applicables à une campagne électorale, sur un point spécifique : le Président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique et son temps de parole n'a pas, dans le traitement de l'actualité liée à la campagne, à être pris en compte à ce titre. Mais le Conseil d'État n'avait jamais été saisi d'une requête le conduisant à prendre position sur la question générale, en particulier hors campagne électorale, du traitement des interventions du chef de l'État dans les médias audiovisuels au regard des règles du pluralisme politique et, notamment, du « principe de référence » du 8 février 2000.

Le Conseil d'État a déduit des dispositions applicables que le législateur avait confié à l'autorité de régulation, le CSA, la mission d'assurer la garantie, dans les médias audiovisuels, de l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d'opinion. Il a jugé que cette autorité était tenue d'exercer pleinement sa mission, en veillant au respect de cet objectif par les services de radio et de télévision et qu'à cette fin elle disposait d'un large pouvoir d'appréciation pour fixer, sous le contrôle du juge, les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l'ensemble du débat politique national.

Le Conseil d'État a ensuite confirmé et même étendu hors du cadre des campagnes électorales sa jurisprudence de 2005 selon laquelle, en raison de sa place dans l'organisation des pouvoirs publics constitutionnels, le Président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique et, par suite, son temps de parole dans les médias audiovisuels n'a pas à être pris en compte à ce titre. Il a ajouté qu'il n'en résulte pas pour autant, compte tenu du rôle que le chef de l'État assume depuis l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 dans la définition des orientations politiques de la Nation, que ses interventions et celles de ses collaborateurs puissent être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national et, par conséquent, à l'appréciation de l'équilibre à rechercher entre les courants d'opinion politique.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel ayant refusé par principe la prise en compte des interventions du Président de la République et de ses collaborateurs, c'est pour cette erreur de droit, au regard de la Constitution et de la loi, que le Conseil d'État a annulé sa décision, sans cependant déterminer lui-même les règles qui doivent être posées. Cette mission incombe en effet, en l'état de la législation, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour fixer les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l'ensemble du débat politique national ».




Arrêt du Conseil d'Etat


« Vu la requête, enregistrée le 3 décembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. François H. et M. Didier M. demandant au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 3 octobre 2007 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté leur demande tendant à ce qu'il modifie sa délibération du 8 février 2000 relative aux modalités d'évaluation du respect du pluralisme politique dans les médias afin de prendre en compte les interventions du Président de la République et de ses collaborateurs ;

(...)

Considérant que l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, à laquelle se réfère le Préambule de la Constitution, garantit la libre communication des pensées et des opinions ; que le pluralisme des courants de pensée et d'opinion, dont le pluralisme de l'expression politique est une composante, est l'une des conditions de la liberté ainsi garantie et de la démocratie et qu'il constitue en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le pouvoir constituant a au demeurant solennellement rappelé l'importance de la liberté de communication et de l'expression pluraliste des opinions par les dispositions introduites respectivement aux articles 4 et 34 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, aux termes desquelles : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » et « La loi fixe les règles concernant : (…) la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; (…) » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : « La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise (…) par le respect (…) du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion (…). » ; que l'article 3-1 de la même loi dispose : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité indépendante, garantit l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle en matière de radio et de télévision par tout procédé de communication électronique, dans les conditions définies par la présente loi. / (…) Le conseil peut adresser aux éditeurs et distributeurs de services de radio et de télévision (…) des recommandations relatives au respect des principes énoncés dans la présente loi. (…) » ; qu'aux termes de l'article 13 de la même loi : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale. / Le Conseil supérieur de l'audiovisuel communique chaque mois aux présidents de chaque assemblée et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes. » ; que, par ces dispositions, le législateur a confié à l'autorité de régulation la mission d'assurer la garantie, dans les médias audiovisuels, de l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d'opinion, notamment politiques ; que cette autorité est tenue d'exercer pleinement sa mission, en veillant au respect de cet objectif par les services de radio et de télévision selon des modalités qu'il lui incombe, en l'état de la législation, de déterminer ; qu'elle dispose, à cette fin, d'un large pouvoir d'appréciation pour fixer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l'ensemble du débat politique national ;

Considérant que par une délibération du 8 février 2000, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a énoncé, sous le nom de « principe de référence », les critères au regard desquels, sans préjudice des règles qu'il fixe pour les campagnes électorales et pour le traitement de l'actualité qui leur est liée, et sous réserve de l'examen particulier de chaque situation, il entend apprécier le respect, par les services de radio et de télévision, de leurs obligations en matière de pluralisme politique et, s'il en constate la méconnaissance, adresser à ces services une mise en demeure puis, le cas échéant, prononcer à leur encontre des sanctions dans les conditions prévues aux articles 42, 42-1, 48-1 et 48-2 de la loi du 30 septembre 1986 ; que cette délibération dispose que : « Les éditeurs doivent respecter un équilibre entre le temps d'intervention des membres du gouvernement, celui des personnalités appartenant à la majorité parlementaire et celui des personnalités de l'opposition parlementaire, et leur assurer des conditions de programmation comparables. En outre, les éditeurs doivent veiller à assurer un temps d'intervention équitable aux personnalités appartenant à des formations politiques non représentées au Parlement. Sauf exception justifiée par l'actualité, le temps d'intervention des personnalités de l'opposition parlementaire ne peut être inférieur à la moitié du temps d'intervention cumulé des membres du gouvernement et des personnalités de la majorité parlementaire. » ;

Considérant que M. H. et M. M. ont demandé au Conseil supérieur de l'audiovisuel de modifier cette délibération afin que les interventions du Président de la République et de ses collaborateurs dans les médias audiovisuels, dont elle ne prévoit pas la prise en compte pour l'application des règles relatives au pluralisme politique, soient à l'avenir retenues au même titre que celles du Gouvernement ; que, par la décision attaquée du 3 octobre 2007 qui a rejeté cette demande, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a exclu toute forme de prise en compte de ces interventions ; que ce refus de modifier les règles au regard desquelles est apprécié le respect du pluralisme politique constitue une décision administrative faisant grief dont M. H. et M. M. sont recevables, contrairement à ce que soutient le Conseil supérieur de l'audiovisuel, à demander l'annulation pour excès de pouvoir ;

Considérant qu'en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l'Etat dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics et des missions qui lui sont conférées notamment par l'article 5 de la Constitution, le Président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique ; que, par suite, son temps de parole dans les médias audiovisuels n'a pas à être pris en compte à ce titre ; qu'il n'en résulte pas pour autant, compte tenu du rôle qu'il assume depuis l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 dans la définition des orientations politiques de la Nation, que ses interventions et celles de ses collaborateurs puissent être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national et, par conséquent, à l'appréciation de l'équilibre à rechercher entre les courants d'opinion politiques ; que dès lors, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne pouvait, sans méconnaître les normes de valeur constitutionnelle qui s'imposent à lui et la mission que lui a confiée le législateur, exclure toute forme de prise en compte de ces interventions dans l'appréciation du respect du pluralisme politique par les médias audiovisuels ; que la décision attaquée est ainsi entachée d'erreur de droit ; qu'en conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête, M. H. et M. M. sont fondés à en demander pour ce motif l'annulation ;

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de M. H. est admise.
Article 2 : La décision du 3 octobre 2007 du Conseil supérieur de l'audiovisuel est annulée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. François H., à M. Didier M., à M. Stéphane H. et au Conseil supérieur de l'audiovisuel ».




Source : CE, 8 avril 2009, M. H. et M. M., req. n°311136.
Mots clés : Particuliers, Droit public