Responsabilité de l'Etat en cas de carence de scolarisation d'enfants handicapés

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Le 08/04/2009

Dans un arrêt rendu le 8 avril 2009, le Conseil d'Etat a considéré qu'il appartient à l'Etat de prendre les mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire, qui sont garantis à chacun

Dans un arrêt rendu le 8 avril 2009, le Conseil d'Etat a considéré qu'il appartient à l'Etat de prendre les mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire, qui sont garantis à chacun quelles que soient les différences de situations, aient un caractère effectif pour les enfants handicapés. La Haute juridiction a, plus précisément, estimé qu'une carence de l'Etat dans ce domaine peut constituer une faute, dont les conséquences peuvent être réparées financièrement.




Communiqué du Conseil d'Etat


« L'article L. 111-1 du code l'éducation prévoit que le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de permettre, notamment, de développer sa personnalité, de s'insérer dans la vie sociale et d'exercer sa citoyenneté, tandis que d'autres articles du même code obligent l'Etat à prendre en charge les dépenses d'enseignement et de première formation professionnelle des enfants et adolescents handicapés, en les accueillant soit dans des classes ordinaires, soit dans des établissements disposant d'un personnel qualifié ou de services spécialisés.

Des parents d'un enfant handicapé avaient considéré que ces obligations légales avaient été méconnues, leur enfant n'ayant pas eu accès à un institut médico-éducatif à partir de la rentrée 2003. Ils avaient alors recherché la responsabilité de l'Etat en raison de l'absence de scolarisation de cet enfant. Leur demande avait été rejetée en appel par la cour administrative d'appel.

Le Conseil d'Etat annule cette décision. Il juge que les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne les privent pas du droit à l'éducation, qui est garanti à chacun, quelles que soient les différences de situation, et ne font pas obstacle au respect de l'obligation scolaire, qui s'applique à tous. Il incombe ainsi à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif. Si tel n'est pas le cas, la carence de l'Etat constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. L'administration ne peut pas, pour se soustraire à cette responsabilité, mettre en avant l'insuffisance des structures d'accueil existantes ou le fait que des allocations sont allouées aux parents d'enfants handicapés.

Le Conseil d'Etat annule en conséquence l'arrêt ayant rejeté la demande des parents, la cour s'étant bornée à relever que l'administration n'avait qu'une obligation de moyens, définie comme celle de faire toutes les diligences nécessaires.

Si cette décision pose le principe de la responsabilité de l'Etat en cas de carence de scolarisation d'enfants handicapés, elle ne détermine pas pour autant les modalités de la réparation des préjudices entraînés par une carence de l'Etat. L'affaire a en effet été renvoyée à la cour administrative d'appel, à qui revient la mission de déterminer ces préjudices ».





Arrêt du Conseil d'Etat


« Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 11 décembre 2007 et le 11 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme L., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur fille mineure, M. et Mme L. demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 27 septembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, sur recours du ministre de la santé et de la solidarité, d'une part, a annulé le jugement du 23 octobre 2006 du tribunal administratif de Versailles condamnant l'Etat à leur verser une somme de 6 000 euros et une seconde somme de 8 000 euros, en tant que représentants légaux de leur fille, et, d'autre part, a rejeté leur demande de première instance tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité de 141 153 euros au titre des différents préjudices subis du fait de la carence de l'Etat à assurer des services d'enseignement au profit des enfants handicapés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Musitelli, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. et Mme L.,
- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public,
- la parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. et Mme L. ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 111 1 du code de l'éducation dans sa rédaction applicable à l'espèce : "Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale, d'exercer sa citoyenneté" ; qu'aux termes de l'article L. 112 1 du même code dans sa rédaction applicable à l'espèce : "Les enfants ou adolescents handicapés sont soumis à l'obligation éducative. Ils satisfont à cette obligation en recevant soit une éducation ordinaire, soit, à défaut, une éducation spéciale, déterminée en fonction des besoins particuliers de chacun d'eux par la commission départementale d'éducation spéciale" ; qu'aux termes de l'article L. 351 1 du même code dans sa rédaction applicable à l'espèce : "(…) L'Etat prend en charge les dépenses d'enseignement et de première formation professionnelle des enfants et adolescents handicapés : / 1° Soit, de préférence, en accueillant dans des classes ordinaires (…) tous les enfants susceptibles d'y être admis malgré leur handicap ; / 2° Soit en mettant du personnel qualifié relevant du ministère chargé de l'éducation nationale à la disposition d'établissements ou services créés et entretenus par d'autres départements ministériels, par des personnes morales de droit public ou par des groupements ou organismes à but non lucratif conventionnés à cet effet ; dans ce cas, le ministre chargé de l'éducation nationale participe au contrôle de l'enseignement dispensé dans ces établissements ou services ; / 3° Soit en passant avec les établissements d'enseignement privés (…) les contrats prévus par le titre IV du livre IV du présent code (…)" ; qu'aux termes de l'article L. 112 3 du même code dans sa rédaction applicable à l'espèce : "L'éducation spéciale associe des actions pédagogiques, psychologiques, sociales, médicales et paramédicales ; elle est assurée soit dans des établissements ordinaires, soit dans des établissements ou par des services spécialisés" ; et qu'aux termes de l'article L. 351 2 du même code dans sa rédaction applicable à l'espèce : "La commission départementale de l'éducation spéciale prévue à l'article L. 242 2 du code de l'action sociale et des familles désigne les établissements ou les services ou à titre exceptionnel l'établissement ou le service dispensant l'éducation spéciale correspondant aux besoins de l'enfant ou de l'adolescent et en mesure de l'accueillir. / La décision de la commission s'impose aux établissements scolaires ordinaires et aux établissements d'éducation spéciale dans la limite de la spécialité au titre de laquelle ils ont été autorisés ou agréés" ; qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que, le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation, et, d'autre part, que l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation ; qu'il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif ; que la carence de l'Etat est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité, sans que l'administration puisse utilement se prévaloir de l'insuffisance des structures d'accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d'enfants handicapés, celles-ci n'ayant pas un tel objet ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme L., parents d'une fillette handicapée née en 1995, recherchent la responsabilité de l'Etat à raison du défaut de scolarisation de leur enfant dans un institut médico éducatif à partir de la rentrée 2003 ; que, pour retenir que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée par cette carence, la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas recherché si l'Etat avait pris l'ensemble des mesures et mis en œuvre les moyens nécessaires pour donner un caractère effectif au droit et à l'obligation pour les enfants handicapés de recevoir une éducation adaptée à leur situation mais s'est bornée à relever que l'administration n'avait qu'une obligation de moyens, définie comme celle de faire toutes les diligences nécessaires ; qu'ainsi, la cour a méconnu les dispositions précitées du code de l'éducation et commis une erreur de droit ; que, dès lors, M. et Mme L. sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme L. et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt du 27 septembre 2007 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme L. la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme L., et au ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité ».




Source :

CE, 8 avril 2009, M. et Mme L., req. n° 311434.
Mots clés : Particuliers, Droit des handicapés