Délégation de service public, opérateurs installés dans l'UE et mesures de publicité

Actualités juridiques

Le 02/04/2009

Dans un arrêt rendu le 1er avril 2009, le Conseil d'Etat a apporté des précisions concernant l'obligation de publicité lors des procédures de délégation de service public pouvant intéresser des opérateurs implantés dans un autre Etat membre de l

Dans un arrêt rendu le 1er avril 2009, le Conseil d'Etat a apporté des précisions concernant l'obligation de publicité lors des procédures de délégation de service public pouvant intéresser des opérateurs implantés dans un autre Etat membre de la Communauté européenne. La Haute juridiction a, plus particulièrement, indiqué que l'obligation de prendre des mesures de publicité adéquates, dans une telle hypothèse, n'imposait pas nécessairement une insertion dans un support à diffusion européenne. Tout au plus, cette publicité doit-elle être organisée afin qu'elle ne puisse échapper à l'attention de l'ensemble des opérateurs raisonnablement vigilants du secteur concernés, qu'ils soient installés en France ou dans d'autres Etats européens.




Communiqué du Conseil d'Etat



« La communauté urbaine de Bordeaux avait lancé en 2007 une procédure de mise en concurrence pour déléguer le service public des transports urbains de voyageurs dans l'agglomération. Une entreprise allemande a contesté en référé la procédure suivie. Elle estimait notamment que les formalités de publicité retenues méconnaissaient les principes de transparence et de non-discrimination à l'égard des opérateurs établis hors de France. La procédure litigieuse a été annulée par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bordeaux, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; la communauté urbaine de Bordeaux et une autre société se sont alors pourvues en cassation devant le Conseil d'Etat contre l'ordonnance rendue par ce juge.

Les dispositions des articles L. 1411-1 et R. 1411-1 du code général des collectivités territoriales prévoient que les délégations de service public sont soumises à une procédure de publicité, qui implique de publier les informations utiles aux candidats potentiels à la fois dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales et dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné[/b]. Le Conseil d'État souligne que ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des règles fondamentales du traité instituant la Communauté européenne et notamment du principe de non-discrimination en fonction de la nationalité[/b]. La procédure de publicité doit ainsi tenir compte de l'objet, du montant financier et des enjeux économiques de la délégation de service public.

Qu'en est-il lorsque cette délégation de service public est susceptible d'intéresser des opérateurs implantés sur le territoire d'autres Etats membres de l'Union européenne ?

A l'occasion de cette affaire, le Conseil d'État juge qu'il est possible de faire paraître la publicité dans une publication française, mais à condition que celle-ci ne puisse échapper à l'attention des opérateurs raisonnablement vigilants du secteur économique concerné, y compris si ces opérateurs sont implantés dans un autre pays européen.

Or pour annuler la procédure litigieuse, le juge du référé précontractuel avait estimé que la publicité de la délégation de service public aurait dû impérativement être effectuée dans une publication diffusée à l'échelle de l'Union européenne. Le Conseil d'État a estimé qu'il fallait d'abord rechercher si les publications retenues par la communauté urbaine de Bordeaux constituaient des supports de référence pour tous les opérateurs raisonnablement vigilants, spécialisés en matière de transport public urbain de voyageurs. En annulant la procédure sans vérifier quelle était l'audience des publications retenues, le juge du référé précontractuel a commis une erreur de droit.

Son ordonnance a donc été annulée par le Conseil d'État, qui a ensuite réglé l'affaire en tant que juge des référés. Après avoir rappelé que la délégation du service public des transports de personnes envisagée par la communauté urbaine de Bordeaux, qui compte près de 700 000 habitants, représentait un montant prévisionnel de 750 millions d'euros au titre de la période 2008-2013, le Conseil d'État a regardé quelle était l'audience des trois supports retenus (outre le journal local d'annonces légales) pour assurer la publicité de la procédure de délégation. Relevant que les deux premières publications, dont un site internet largement fréquenté, étaient des supports de référence respectivement dans le domaine des transports publics de voyageurs et dans celui des marchés de service et des délégations de service public passés sur le territoire français, et que la troisième concernait le secteur des bâtiments et travaux publics, il a estimé que les mesures de publicité avaient été adéquates. Le Conseil d'État a donc rejeté la demande d'annulation de la procédure de délégation du service public des transports urbains de voyageurs lancée par la communauté urbaine de Bordeaux




Arrêt du Conseil d'Etat



« Vu, 1°) sous le n° 323585, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 décembre 2008 et 7 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX, dont le siège est Esplanade Charles de gaulle à Bordeaux Cedex (33076) ; la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 10 décembre 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société DB Mobility Logistics AG, annulé la procédure de délégation du service public des transports urbains de voyageurs lancée par la communauté urbaine de Bordeaux ;
2°) statuant comme juge des référés, de rejeter la demande présentée par la société DB Mobility Logistics AG devant le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) de mettre à la charge de la société DB Mobility Logistics AG le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu, 2°) sous le n° 323593, le pourvoi, enregistré le 24 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la société KEOLIS, dont le siège est 9 rue Caumartin à Paris (75009) ; la société KEOLIS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 10 décembre 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société DB Mobility Logistics AG, annulé la procédure de délégation du service public des transports urbains de voyageurs lancée par la communauté urbaine de Bordeaux en novembre 2007 ;
2°) statuant comme juge des référés, de rejeter la demande présentée par la société société DB Mobility Logistics AG devant le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) de mettre à la charge de la société DB Mobility Logistics AG le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

(…)

Considérant toutefois que l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales dispose que : « Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat » : qu'aux termes de l'article R. 1411-1 du même code : « L'autorité responsable de la personne publique délégante doit satisfaire à l'exigence de publicité prévue à l'article L. 1411-1 par une insertion dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales et dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné. (…) » ;

Considérant que les dispositions précitées, qui s'interprètent à la lumière des règles fondamentales du traité instituant la communauté européenne, au nombre desquelles figure le principe de non discrimination en raison de la nationalité, ne peuvent être réputées satisfaites que lorsqu'est mise en œuvre une procédure de publicité adéquate compte tenu de l'objet, du montant financier et des enjeux économiques de la délégation de service public à passer ; que lorsque la délégation de service public en cause est, compte tenu de ses caractéristiques, susceptible d'intéresser des opérateurs implantés sur le territoire d'autres Etats membres de l'Union européenne, une procédure de publicité adéquate peut être assurée par une insertion dans un support de référence pour les annonces concernant les procédures de délégation de service public lancées en France dans le domaine concerné, à la condition toutefois qu'elle soit insusceptible d'échapper à l'attention des opérateurs raisonnablement vigilants pouvant être intéressés par une telle délégation, y compris ceux implantés sur le territoire d'un autre Etat membre ;

Considérant que pour annuler la procédure litigieuse en raison d'une méconnaissance des principes de transparence et de non discrimination à l'égard des opérateurs établis hors de France, le juge des référés a estimé que, compte tenu de l'objet, du montant financier et des enjeux économiques de la délégation de service public à passer, susceptible d'intéresser des opérateurs implantés hors de France, une insertion devait nécessairement être assurée dans un support bénéficiant d'une diffusion européenne ; qu'en annulant ainsi la procédure litigieuse sans rechercher si, en dépit de leur diffusion limitée sur le plan international, les publications spécialisées retenues par la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX ne constituaient pas des supports de référence pour les annonces concernant les procédures de délégation de service public lancées en France dans le domaine du transport public urbain de voyageurs, insusceptible d'échapper à l'attention de l'ensemble des opérateurs raisonnablement vigilants pouvant être intéressés par une telle délégation, le juge des référés a commis une erreur de droit ; qu'il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, que la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX et la société KEOLIS sont fondées à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société DB Mobility Logistics AG ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir soulevées par la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX et la société KEOLIS ;

Considérant que la délégation de service public que la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX entendait passer concernait le service public des transports de personnes sur le territoire d'une agglomération de près de 700 000 habitants, et pour un montant prévisionnel de 750 millions d'euros, au titre de la période couvrant les années 2008 à 2013 ; que la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX a publié un avis d'appel public à la concurrence dans les « Echos judiciaires girondins », journal local d'annonces légales, et dans la revue bimensuelle « Ville & Transports » ; qu'elle a complété cette publicité par une insertion dans le « Moniteur du Bâtiment & des Travaux publics » et sur le site Internet « Marchés on line » ;

Considérant que la revue « Ville & Transports » est en France l'une des revues de référence dans le domaine des transports publics de voyageurs, recueillant un nombre élevé d'annonces concernant des délégations de service public passées dans ce secteur ; que le site « marchés on line » constitue par ailleurs un site largement fréquenté, avec plus de 2 millions de pages vues par mois, environ 14500 entreprises inscrites, et une source d'information reconnue pour les avis concernant les marchés de travaux publics, mais aussi les marchés de service et les délégations de service public passés sur le territoire français ; que compte tenu des publications intervenues dans ces deux supports, complétées, au surplus, par une insertion dans la revue « Moniteur du Bâtiment & des Travaux publics », la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX, qui, à défaut d'une disposition l'exigeant, n'était pas tenue de procéder systématiquement à une insertion dans un support bénéficiant d'une diffusion européenne, a mis en œuvre, conformément aux exigences du code général des collectivités territoriales rappelées ci-dessus, une procédure de publicité adéquate, insusceptible en l'espèce d'échapper à l'attention des opérateurs raisonnablement vigilants pouvant être intéressés par la délégation de service public en cause, y compris ceux implantés dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, et n'a ainsi ni méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence ni porté atteinte à l'égalité de traitement entre les opérateurs ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice des communautés européennes d'une question préjudicielle, la demande présentée par la société DB Mobility Logistics AG doit être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société DB Mobility Logistics AG, au titre de l'ensemble de la procédure, une somme de 4 000 euros à verser à la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX et une somme du même montant à verser à la société KEOLIS ;

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance du 10 décembre 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société DB Mobility Logistics AG devant le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : La société DB Mobility Logistics AG versera à la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX une somme de 4 000 euros et une somme du même montant à la société KEOLIS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX, à la société KEOLIS et à la société DB Mobility Logistics AG ».




Source :

CE, 1er avril 2009, Communauté urbaine de Bordeaux c/. Société Keolis, req. n° 323585.
Mots clés : Professionnels, Droit public